« Seuls se félicitent d’être arrivés ceux qui se savent incapables d’aller plus loin. »
Amin Maalouf, Le premier siècle après Béatrice.
La longue côte et les hautes montagnes semblent avoir incité de tout temps les habitants du Liban à prendre la mer. Les Phéniciens sont réputés pour leurs talents de navigateurs et de marchands, auxquels ils devaient leur fortune et leur notoriété. A l’époque déjà, le voyage était associé aux opportunités et aux risques, et l’objectif ultime était le retour au pays aimé.
J’ai retrouvé intactes ces questions dans mon entourage, aussi varié soit-il. Les réfugiés syriens ont quitté leur maison sans le vouloir, dans la précipitation, la terreur et l’incertitude. Un million et demi d’entre eux se sont installés au Liban, dans un exil temporaire qui tend à s’éterniser. Ils refusent de retourner dans leur pays en guerre, ne savant pas s’il convient de rester dans le pays d’accueil ou de tenter de gagner un pays tiers. Le Liban connait la plus haute densité de réfugiés en proportion de son territoire et 30% des nationaux vivraient sous le seuil de pauvreté. Sans permis de séjour ni droit au travail, les Syriens sont intensément incités à prendre la route vers l’Europe, l’Afrique du Nord ou le reste du Moyen-Orient.
L’Histoire récente des Libanais est jalonnée d’expatriations. Commerçants et réfugiés des guerres du XXe siècle formèrent de dynamiques diasporas dont ont afflué argent et nouvelles du monde. Que je leur parle français, anglais ou allemand, nombreux sont les badauds, vendeurs ou chauffeurs de taxi qui s’enquièrent de la faisabilité d’y obtenir un visa et du travail.
Et pourtant, tous savent que l’expatriation a un coût. Ceux qui la refusent malgré des salaires alléchants soulignent le vide humain, intellectuel et spirituel des hôtels sophistiqués de Londres et des piscines géantes de Dubaï. Tant qu’ils vivent correctement au pays, expliquent-ils, leur place est auprès de ceux qu’ils aiment. Dans le cas des Syriens, l’expatriation est à la fois cruellement souhaitée et humainement plus difficile. J’en ai fait l’expérience en suivant la « réinstallation » en Europe de deux familles syriennes. Le processus est extrêmement sélectif, qu’il soit opéré par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ou par un organisme privé. Les bénéficiaires ne choisissent pas leur pays d’accueil et ont une idée bien peu précise de ce qui les y attend. J’ai pris conscience, en accompagnant des familles en partance pour l’Italie et la France, de ce que quitter leurs compagnons d’exil signifiait pour elles. Elles abandonnaient le petit monde d’habitudes et de solidarités patiemment bâti au Liban. Il s’agissait à nouveau d’un départ à jamais, pour un univers dont la langue, la culture, le climat seraient différents. Je suis heureuse que tous aient des enfants, facteur d’intégration dans le pays d’accueil.
Enfin, le Liban est très largement une terre d’accueil et d’émigration. A l’image de la péninsule arabe, le pays attire des travailleurs d’Asie du Sud-Est et de la Corne de l’Afrique par ses hauts salaires. Du Bangladesh, d’Inde ou d’Ethiopie, jeunes et moins jeunes font les ménages, soignent les enfants et les vieux, bâtissent les immeubles, dans l’espoir de revenir riches au pays. En parallèle, les universités et ONG regorgent d’Occidentaux en quête de dépaysement, de cours d’arabe, d’une expérience professionnelle originale ou d’aventure. Sauf que nous nous qualifions d’« expatriés » et que notre passeport occidental nous attire la considération des locaux.
Par son Histoire complexe et les défis qui sont les siens, Le Liban fascine autant qu’il désespère, attire et effraie à la fois. C’est donc un formidable chassé-croisé qui s’observe entre les nationaux, résidents, expatriés et réfugiés qui y vivent. Quels que soient leurs parcours, tous vivent, je crois, une appréhension de l’inconnu et un goût de l’aventure similaires.
Par son Histoire complexe et les défis qui sont les siens, Le Liban fascine autant qu’il désespère, attire et effraie à la fois. C’est donc un formidable chassé-croisé qui s’observe entre les nationaux, résidents, expatriés et réfugiés qui y vivent. Quels que soient leurs parcours, tous vivent, je crois, une appréhension de l’inconnu et un goût de l’aventure similaires.
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