Les mois d’hiver, de Janvier à Mars, sont, comme partout dans notre hémisphère, les plus calmes de l’année. C’est le cas à Jérusalem, après la fête de la Nativité des Chrétiens, qui draine chaque année un flot croissant de pèlerins venus vivre dans la joie l’anniversaire de la naissance de Jésus, suivi du jour de l’ an, le 1er Janvier, qui commémorait en fait, jusqu’au siècle dernier, le jour de sa circoncision, huit jours plus tard (Ce rite marque, chez les juifs, l’entrée reconnue, pleine et entière, d’un catéchumène ou d’un enfant dans l’Assemblée du peuple des « Enfants d’Israël », lequel est constitué par les descendants directs, biologiques ou spirituels, du troisième patriarche de la Bible; Jacob, à qui, selon la tradition, Dieu a donné aussi le nom d’Israël).
Cette année, cette quiétude a été pour moi propice au recueillement et à la prière dont j’ai eu besoin durant le mois de deuil de ma sœur aînée Simone, dont j’étais très proche, qui est décédée à Paris à la mi-Janvier, à l’âge de cent ans. C’était un mois et demi après son dernier anniversaire, auquel j’avais pu venir participer au début du mois de Décembre. Son dernier geste aura été de réunir les membres de notre famille, encore une fois, autour d’elle. Nous disons que la prière aide l’âme d’un défunt à monter vers Dieu, en s’élevant jusqu’au monde de l’éternité, tandis qu’ici-bas un nouvel équilibre psychologique se met en place parmi les vivants de son entourage. J’ai donc prié tous les jours, de bon matin (à l’office de « chaharit » qui commence à 6 heures 15, et se termine à 8 heures), et presque tous les soirs, avec les fidèles habituels et coutumiers de notre ravissante petite synagogue sépharade qui se trouve tout près de notre immeuble. La plupart sont originaires des pays arabes du Moyen-Orient (Terre Sainte, Irak, Iran, Egypte, etc.), également d’Afrique du Nord (Maroc, Algérie et Tunisie), et aussi des Balkans, de Grèce, et de Turquie, dont les anciennes communautés avaient de tout temps gardé des liens très étroits et permanents avec celles de Jérusalem, durant leur très long exil. De nombreux amis personnels (et notamment nos proches amis croyants et pratiquants), sont venus nous visiter pour soulager notre peine en nous apportant quelques mots de réconfort et de consolation.
Au même moment, les habitants d’Israël, et notamment ceux qui sont originaires de France, ont été choqués et bouleversés par les très graves évènements de Paris qu’ont été les deux attentats terroristes perpétrés contre d’une part le journal satirique « Charlie Hebdo », et d’autre part l’Hypermarché cacher de la Porte de Vincennes, causant la mort de 17 personnes, dont un policier froidement abattu. Ils ont suivi à la télévision le très émouvant défilé de protestation unanime qui, dans un élan national dépassant nos frontières, a été organisé le 11 Janvier à Paris, Président Hollande et Premier ministre Valls en tête. Ces derniers étaient entourés de 60 chefs d’Etat et de gouvernement, venus exprimer leur solidarité face à ces dérives terroristes hélas bien actuelles. Une marée humaine de 1, 6 millions de manifestants suivait derrière les représentants de tous ces pays d’Europe, du Moyen- Orient, et d’ailleurs. Du jamais vu depuis la Libération. Nous avons prié pour que les consciences humanistes et bienveillantes du monde entier confortent la France spirituelle et républicaine qui a mérité notre amour, et à laquelle nous restons très attachés ici.
Par ailleurs, nous essayons, mon épouse Josette et moi, de garder le contact avec nos amis de France, et notamment avec les membres des diverses Associations inter-religieuses que nous avons bien connus (ces derniers mois, Intercordia, Le Chemin Neuf, Coexister, la Communion de Jérusalem, l’Amitié Judéo-chrétienne de France). Pour cela, il est assez simple, et plus motivant, de pratiquer l’hospitalité abrahamique en partageant un repas, éventuellement à la fortune du pot. Cette pratique est, en effet, un des fondements mêmes de l’idéal de la Fraternité d’Abraham, parce qu’elle facilite les dialogues et les échanges entre croyants de bonne volonté de nos diverses fois et traditions. Et elle permet également d’approfondir simplement notre connaissance de Dieu. Nous avons reçu aussi trois sympathiques relations proches de notre ami et compagnon de route depuis toujours, le Rabbin Philippe Haddad. Enfin, notre fils David, guide à temps partiel, accompagne de son côté des groupes de touristes pèlerins chrétiens, lesquels sont parfois intéressés par l’histoire du développement des échanges interreligieux dans le monde, et la connaissance de leurs progrès. Dans ce cas, il me propose de l’accompagner, et nous avons accueilli ensemble, à nouveau, fin février, un sympathique groupe du diocèse d’Amiens, ainsi que deux Sœurs religieuses catholiques italiennes rencontrées en ville.
Cette évolution, qui nous semble logique, est en fait relativement récente et a été initiée à l’occasion du célèbre « Parlement des Religions » qui fut réuni en 1893, à Chicago, aux Etats-Unis, lors de l’Exposition Universelle organisée par la ville. Mais il a fallu subir les horreurs inimaginables des deux Guerres mondiales, et découvrir en 1944 – 1945 ce qu’a été la tragédie indicible de la « Shoah » pour le monde juif, pour convaincre les grandes organisations religieuses du monde et les divers mouvements d’inspiration spirituelle ou humaniste, de la nécessité du rapprochement et de la sincère compréhension mutuelle des uns et des autres, en vue d’ essayer au moins de construire ensemble le monde accueillant dont nous espérons l’avènement.
Pour comprendre cette évolution, je conseillerais de lire le très encourageant compte-rendu du voyage autour du monde à la rencontre des religions, l’ « Interfaith Tour », qui a été réalisé, durant toute une année (2013 – 2014), par cinq jeunes membres de cette récente et dynamique Association Coexister, née en France, lauréate cette année du « Projet du Président de la République Hollande ». L’un est catholique, un deuxième juif, le troisième musulman, les deux derniers athée et agnostique. Rédigé par le président de l’Association, Samuel Grzybowski, cet ouvrage s’efforce d’analyser les diverses voies existantes, ici et là, pour conforter la coexistence des hommes et femmes de bonne volonté dans le monde. Il encourage les efforts de coopération, bénéfique pour chacun et pour tous, entre les communautés qui constituent l’humanité d’aujourd’hui en devenir. Il s’intitule : « Tous les chemins mènent à l’autre » (Editions de l’Atelier).
Emile Moatti
Délégué général à Jérusalem de la Fraternité d’Abraham
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