Notre système économique (qu’on le nomme libéral, capitaliste ou d’économie de marchés) a indiscutablement produit une ère de prospérité sans précédent et a fait reculer la pauvreté dans la majeure partie de l’humanité. Mais comme l’écrivait, il y a plus de deux cents ans l’économiste Adam Smith : les échanges marchands, pour fonctionner, supposent une certaine modération des ambitions respectives des parties et supposent donc qu’au final, le vendeur et l’acheteur aient l’un et l’autre renoncé à leurs attentes initiales. Modération, Prudence, Décence et Confiance sont les vertus dont le système, dit libéral, devrait se nourrir.
Or, sur ce plan, où en sommes-nous aujourd’hui ?
Quand des aliments non transformés sont vendus 5 à 10 fois le prix que touche le paysan selon son pays d’origine, où est la modération ? Quand un T-shirt ou une boîte de lasagnes passe par un empilement de contrats de sous-traitance (et autant de pays) pour gêner les contrôles de traçabilité et contourner les obligations légales, que devient la confiance ? Quand la Mer d’Aral est asséchée en 20 ans pour produire du coton, où est la prudence ? Et quand les inégalités de revenu et de fortune s’accroissent au point que moins de 10 % de la population détient 83 % du patrimoine mondial où sont la décence et la modération?
Constatant les limites ou les insuffisances de notre système économique (impact destructeur de l’environnement, inégalités, instabilités), le Président de la Fraternité d’Abraham Edmond Lisle, sur la proposition de Bernard Esambert, membre de notre comité stratégique, a engagé depuis 2009 une démarche en plusieurs étapes :
- Publication en mars 2012, sous le titre « Éthique et Économie » d’une suite d’entretiens organisés et recueillis par Roland Burrus auprès d’une quinzaine d’universitaires, de dignitaires spirituels, d’entrepreneurs et d’économistes.
- Création en 2013 d’une fondation abritée par l’Académie des Sciences Morales et Politiques : la fondation « Éthique et Économie » animée par Bertrand Collomb, membre de l’Académie.
- Organisation depuis septembre 2015 d’un cycle de conférences à l’Institut de France (Académie des Sciences morales et Politiques). Nous en commençons la publication dans notre numéro 169 de mars 2016. Comme l’exprime Bertrand Collomb en ouverture de ce cycle … notre ambition est à partir des matériaux recueillis, d’élaborer des textes qui pourraient constituer un code éthique de l’économie libérale, et qui pourraient être discutés et approuvés dans une conférence internationale de haut niveau réunissant des leaders de la réflexion et de l’action économique, politique, sociale ou spirituelle…
Afin de préparer et d’ordonner les réflexions devant conduire à cette conférence internationale, Bernard Esambert a rédigé un texte dont les conclusions sont reprises dans ce même numéro 169. Ce texte inventorie une douzaine de thèmes qui devront structurer les travaux : la justice, le devenir de l’espèce (nos enfants), l’égalité des chances au départ, le pouvoir dans l’entreprise, la corruption, etc. Chaque thème est divisé en questions pratiques auxquelles la charte proposera, pas à pas, des recommandations.
Les premières conférences
La conférence inaugurale a été prononcée le 5 octobre dernier par Jean-Pierre Hansen, membre des académies Royale de Belgique et des Sciences Morales et Politiques de l’Institut de France. Les deux suivantes l’ont été par le Père Baudoin Roger et Blanche Segrestin qui animent un programme de réflexion au Collège des Bernardins : Économie, Homme et Société. Nous en donnons plus loin un aperçu et vous engageons vivement à vous procurer le N° 169 de notre Revue qui en donne l’intégralité.
Les conférences suivantes de Paul Dembinski, de Jean Tirole, de Serguei Guriev et de Michel Camdessus données en décembre 2015 et au cours du premier trimestre 2016, figureront dans nos livraisons ultérieures, de même que celles des prochains conférenciers prévus. Les conférences sont annoncées sur notre site, elles sont libres d’accès sous réserve d’une inscription préalable par mail
Une éthique de l’économie libérale. Pourquoi ?
par Jean Pierre Hansen
L’existence de codes éthiques n’est pas nouvelle (en particulier aux USA, en 1924). Les progrès techniques et l’évolution des mœurs entraînent en permanence de nouveaux risques : mondialisation, immédiateté des décisions, expression violente des « exclus » de la consommation, développement des consommations identitaires ou au contraire, individualisme exacerbé.
Par exemple; la tendance récente des particuliers à fermer les yeux, consciemment ou non, devant l’impact mondial ou social de leurs choix personnels, une fois massifiés. Quand « satisfaire ses besoins » évolue en « satisfaire ses désirs », il n’y a plus de limites. Quand la consommation devient la seule dimension existentielle, toute notion de « sacrifice » à une quelconque collectivité est rejetée.
A l’autre bout, les exclus, ne pouvant satisfaire ces mêmes désirs, protestent vigoureusement : émeutes de banlieues, migrants économiques, voire révolutions dans certains pays. Le rêve d’un progrès universel et infini reste ancré au cœur de chacun, nanti ou exclu. Un rêve qui montre aujourd’hui ses limites.
Le rôle modérateur de l’État est plus nécessaire que jamais, mais le pouvoir étatique sur l’économie est affaibli. C’est aux entreprises de prendre le relais … alors qu’elles sont juges et parties : dilemme. Des arguments penchent pourtant en faveur d’un tel montage.
Déformation de la gouvernance de l’entreprise
par Baudoin Roger et Blanche Segrestin
L’actionnariat doit-il être le seul élément vital qui doive gouverner l’entreprise ? Trop souvent, celle-ci donne l’image d’une simple source de profit, amenant des questions sur ses autres rôles.
- La qualité de vie des hommes qui la composent est-elle intégrée à ses objectifs ?
- L’impact sur le pays, social et environnemental, est-il toujours étudié et travaillé ?
- L’innovation apportée est-elle conçue pour servir notre société ? Est-elle même recherchée ?
- Est-il normal que le profit ne génère pas toujours la prospérité ?
Face à la souffrance humaine, à cette gouvernance en perte d’éthique, l’Église s’implique, analysant les causes et cherchant des solutions. En France depuis 2009, une équipe du Collège des Bernardins[1] y travaille, au contact de juristes, financiers, dirigeants, chercheurs et d’autres groupes dans le monde.
Analyses et propositions :
- les recommandations de l’Église (textes sacrés et encycliques),
- l’Histoire des entreprises : ses missions, le rôle de ses possesseurs, de ses dirigeants, le contrat de travail, les contre-pouvoirs, la gestion de l’innovation et celle du relationnel (interne et externe),
- enfin, les tentatives existantes d’amélioration, notamment aux États-Unis.
[1] Collège des Bernardins : centre éducatif (théologique), culturel (concerts et expositions) et lieu de rencontres (conférences et groupes de travail), comprenant 6 départements dont « Économie, homme, société ».
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